Sonnets pour la Belle matineuse
Le thème de la Belle matineuse a été développé en sonnets par des poètes italiens et français du XVIe siècle et du XVIIe siècle. L'exemple le plus célèbre est proposé par Vincent Voiture en 1635, entraînant une mode dans les milieux précieux autour de ce thème.
Sonnets pourla Belle matineuse | |
La Belle matineuse de Vincent Voiture(édition originale de 1650) | |
Auteur | Divers |
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Pays | Royaume de France Monarchie espagnole États pontificaux |
Genre | Sonnet |
Version originale | |
Langue | Français, Italien, Espagnol |
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Contexte
modifierEn 1635, Vincent Voiture adresse une lettre à une jeune demoiselle, à Blois, qui s'ouvre sur le sonnet intitulé La Belle matineuse et se poursuit ainsi : « Après quatorze vers, vous me permettrez bien de mettre quatorze lignes de prose, et de vous dire, en un langage qui a accoutumé d'être plus véritable que celui-là, que je me meurs pour vous[1] ».
Le sonnet de Voiture « déclencha une compétition, où s'illustrèrent notamment Malleville et Tristan L'Hermite[2] ».
La Belle matineuse
modifierDes portes du matin l'Amante de Céphale,
Ses roses épandait dans le milieu des airs,
Et jetait sur les cieux nouvellement ouverts
Ces traits d’or et d’azur qu’en naissant elle étale,
Quand la Nymphe divine, à mon repos fatale,
Apparut, et brilla de tant d'attraits divers,
Qu'il semblait qu'elle seule éclairait l'Univers
Et remplissait de feux la rive Orientale.
Le Soleil se hâtant pour la gloire des Cieux
Vint opposer sa flamme à l'éclat de ses yeux,
Et prit tous les rayons dont l'Olympe se dore.
L'Onde, la terre et l'air s'allumaient alentour
Mais auprès de Philis on le prit pour l'Aurore,
Et l'on crut que Philis était l'astre du jour[3].
Autres sonnets
modifierMalleville
modifierLe silence régnait sur la terre et sur l'onde,
L'air devenait serein et l'Olympe vermeil,
Et l'amoureux Zéphir affranchi du sommeil
Ressuscitait les fleurs d'une haleine féconde.
L'Aurore déployait l'or de sa tresse blonde
Et semait de rubis le chemin du Soleil ;
Enfin ce dieu venait au plus grand appareil
Qu'il soit jamais venu pour éclairer le monde,
Quand la jeune Philis au visage riant,
Sortant de son palais plus clair que l'Orient,
Fit voir une lumière et plus vive et plus belle.
Sacré flambeau du jour, n'en soyez point jaloux !
Vous parûtes alors aussi peu devant elle
Que les feux de la nuit avaient fait devant vous[4].
Tristan L'Hermite
modifierTristan L'Hermite publie son sonnet dans La Lyre, sous le titre Imitation d'Annibal Caro :
L'amante de Céphale entr'ouvrait la barrière
Par où le dieu du jour monte sur l'horizon ;
Et, pour illuminer la plus belle saison,
Déjà le clair flambeau commençait sa carrière.
Quand la nymphe qui tient mon âme prisonnière
Et de qui les appas sont sans comparaison,
En un pompeux habit sortant de sa maison,
À cet astre brillant opposa sa lumière.
Le soleil, s'arrêtant devant cette beauté,
Se trouva tout confus de voir que sa clarté
Cédait au vif éclat de l'objet que j'adore ;
Et, tandis que de honte il était tout vermeil
En versant quelques larmes, il passa pour l'aurore ;
Et Philis, en riant, passa pour le soleil[5].
Émile Faguet juge cette Belle matineuse « nullement inférieure à celles de Malleville et Voiture ; mais, soucieux de renouveler le sujet, il a donné comme pendant ou comme réplique à la belle du matin une autre version que l'on pourra appeler, si l'on veut, la Belle crépusculaire[6] » :
Sur la fin de son cours le Soleil sommeillait
Et déjà ses coursiers abordaient la marine,
Quand Élise passa dans un char qui brillait
De la seule splendeur de sa beauté divine.
Mille appas éclatants qui font un nouveau jour
Et qui sont couronnés d'une grâce immortelle,
Les rayons de la gloire et les feux de l'amour
Éblouissaient la vue et brûlaient avec elle.
Je regardais coucher le bel astre des cieux,
Lorsque ce grand éclat me vint frapper les yeux,
Et de cet accident ma raison fut surprise.
Mon désordre fut grand, je ne le cèle pas.
Voyant baisser le jour et rencontrant Élise,
Je crus que le Soleil revenait sur ses pas[6].
Testu de Belval
modifierAnonymes
modifierAntécédents
modifierLe thème de La Belle matineuse avait été traité, avant Vincent Voiture et Annibal Caro, notamment par Ronsard et Du Bellay[7], à l'imitation d'un sonnet d'Antonio Francesco Raineri (it)[8].
En Italie
modifierAnnibal Caro
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Eran l'aer tranquillo e l'onde chiare. |
L'air était calme et l'onde claire. |
Antonio Raineri
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Eran tranquillo il mar ; le selve e i prati |
Tranquille était la mer ; les forêts et les prés |
Berardino Rota
modifierEn Espagne
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Tras la bermeja Aurora el Sol dorado |
À la suite de l'Aurore vermeille, |
En France
modifierRonsard
modifierRonsard illustre le thème dans ses Amours de Cassandre (sonnet LXXVIII) :
De ses cheveux la roussoyante Aurore
Éparsement les Indes remplissait,
Et jà le ciel à longs traits rougissait
De maint émail qui le matin décore,
Quand elle vit la Nymphe que j'adore
Tresser son chef, dont l'or, qui jaunissait,
Le crêpe honneur du sien éblouissait,
Voire elle-même et tout le ciel encore.
Lors ses cheveux vergogneuse arracha,
Si qu'en pleurant sa face elle cacha,
Tant la beauté des beautés lui ennuie :
Et ses soupirs parmi l'air se suivants,
Trois jours entiers enfantèrent des vents,
Sa honte un feu, et ses yeux une pluie.
Du Bellay
modifierDu Bellay en donne une version dans L'Olive (sonnet LXXXIII) :
Déjà la nuit en son parc amassait
Un grand troupeau d'étoiles vagabondes,
Et, pour entrer aux cavernes profondes,
Fuyant le jour, ses noirs chevaux chassait ;
Déjà le ciel aux Indes rougissait,
Et l'aube encor de ses tresses tant blondes
Faisant grêler mille perlettes rondes,
De ses trésors les prés enrichissait :
Quand d'occident, comme une étoile vive,
Je vis sortir dessus ta verte rive,
Ô fleuve mien ! une nymphe en riant.
Alors, voyant cette nouvelle Aurore,
Le jour honteux d'un double teint colore
Et l'Angevin et l'indique orient.
Olivier de Magny
modifierOlivier de Magny a varié sur le thème de la Belle matineuse dans trois sonnets (XXXII à XXXIV de ses Cent-deux sonnets des Amours, publiés en 1553), « de façon banale » selon Henri Weber[12] :
Quand du haut ciel ma Dame descendit
Sous la faveur d'une étoile amiable,
Et que depuis l'éternel immuable
Dedans ce corps excellent la rendit,
Saturne alors ne régnait (comme on dit)
Ni du dieu Mars la lumière admirable,
Ni celle-là de Mercure au semblable ;
Une plus claire apparaître entendit.
C'était Vénus qui flamboyait à l'heure
Sur l'horizon, par quoi l'archer sans yeux
Dessus les siens voulut prendre demeure.
Doncques celui qui ne voudra qu'il tire,
Encontre soi, s'il demande son mieux,
De son regard promptement se retire[13].
Bachet de Méziriac
modifierAbraham de Vermeil
modifierLe sonnet d'Abraham de Vermeil, recueilli dans une anthologie (la Seconde Partie des muses ralliées, en 1600), est une illustration baroque du thème de « la Belle matineuse : le poète imagine une compétition entre le Soleil et la femme aimée, dont cette dernière sort victorieuse[14] » :
Un jour mon beau soleil mirait sa tresse blonde
Aux rais du grand Soleil qui n'a point de pareil :
Le grand Soleil aussi mirait son teint vermeil
Aux Rais de mon Soleil que nul rai ne seconde :
Mon Soleil au Soleil était Soleil et onde :
Le grand Soleil étoit son onde et son Soleil :
Le Soleil se disait le Soleil nompareil :
Mon Soleil se disait le seul Soleil du monde :
Soleils ardant, laissez ces bruits contentieux,
L'un est Soleil en terre et l'autre luit aux Cieux :
L'un est Soleil des corps, l'autre Soleil de l'âme :
Mais si vous débattez, Soleils, qui de vous deux
Est Soleil plus luisant et plus puissant de feux,
Soleil tes jours sont nuits comparés à ma Dame[15].
Analyse
modifierGilles Ménage a consacré au thème de La Belle matineuse « une docte dissertation, en 1652, où il fait remonter l'origine du thème à Catulle[16] ».
Bibliographie
modifierAnthologies
modifier- Jean-Pierre Chauveau, Gérard Gros et Daniel Ménager, Anthologie de la poésie française : Moyen Âge, XVIe siècle, XVIIe siècle, Paris, Gallimard, coll. « La Pléiade » (no 466), , 1586 p. (ISBN 2-07-011384-1)
Éditions modernes
modifier- Tristan L'Hermite et Jean-Pierre Chauveau (introduction et notes), La Lyre (texte original de 1641), Paris-Genève, Librairie Droz, coll. « Textes littéraires français » (no 243), , LXXVII-327 p. (ISBN 2-600-02517-0)
- Olivier de Magny et Mark S. Whitney (édition critique), Poésies, Paris-Genève, Librairie Droz, coll. « Textes littéraires français » (no 164), , 144 p.
- Abraham de Vermeil et Henri Lafay (édition critique), Poésies, Paris-Genève, Librairie Droz, coll. « Textes littéraires français » (no 229), , 187 p.
- Vincent Voiture et Henri Lafay (édition critique), Poésies, t. I, Paris, Didier, coll. « Société des textes français modernes », , 372 p.
Ouvrages généraux
modifier- Émile Faguet, Histoire de la littérature française : depuis le XVIIe siècle jusqu'à nos jours, t. 2, Paris, Plon-Nourrit et Cie, , 570 p. (lire en ligne)
Monographies
modifier- Gilles Ménage, Dissertation sur les sonnets pour la belle matineuse, Paris, Claude Barbin, , 42 p. (lire en ligne)
- Sophie Rollin, Le style de Vincent Voiture : une esthétique galante, Saint-Étienne, Université Jean-Monnet, coll. « Renaissance et âge baroque », , 390 p. (ISBN 978-2-86272-407-2, lire en ligne)
- Henri Weber, La Création poétique au XVIe siècle en France : De Maurice Scève à Agrippa d'Aubigné, vol. I, Paris, Nizet, (1re éd. 1956), 774 p. (ISBN 978-2-7078-1090-8), p. 304-307
Références
modifier- Lafay 1971, p. 70.
- Chauveau, Gros & Ménager 2000, p. 890.
- Chauveau, Gros & Ménager 2000, p. 1063-1064.
- Rollin 2006, p. 164.
- Chauveau 1977, p. 150.
- Faguet 1905, p. 78.
- Rollin 2006, p. 163.
- Chauveau, Gros & Ménager 2000, p. 1488.
- Rollin 2006, p. 166.
- Rollin 2006, p. 165-166.
- Rollin 2006, p. 165.
- Weber 1956, p. 306.
- Whitney 1970, p. 59.
- Chauveau, Gros & Ménager 2000, p. 1440.
- Lafay 1976, p. 42.
- Chauveau 1977, p. 151.