Nehardea était une ville de Babylonie, située à ou près de la jonction de l'Euphrate avec le Nehar Malka (également appelé Nâr Sharri, Ar-Malcha, Nahr el-Malik, ou Canal du Roi), et l'un des premiers centres du judaïsme babylonien.

Aux origines

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La présence juive à Nehardea remonte au roi Yehôyakîn, qui y établit sa résidence. Elle demeura d'ailleurs le siège de l'exilarque. D'après Sherira Gaon[1], Yehôyakîn et ses pairs construisirent une synagogue à Nehardea, pour la fondation de laquelle ils utilisèrent de la terre et des pierres qu'ils avaient emportées, selon Ps. 102:17, de Jérusalem[2]. Cette synagogue fut appelée « Shaf we-Yatib; » il y est fait plusieurs fois référence dans la littérature talmudique du IIIe siècle et du IVe siècle[3]. Abaye affirme[4] que c'est en ce lieu que repose la Shekhina en Babylonie.

Mentions par Josèphe et parallèles talmudiques

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Les Cohanim de Nehardea descendraient, toujours selon le Talmud, d'esclaves de Pashour ben Immer, le contemporain de Yehôyakîn[5]. D'autres allusions talmudiques[6] mettent également en doute l'ascendance des Juifs nehardéens. Le fait qu'Hyrcan II ait, selon Flavius Josèphe, vécu à Babylone lorsqu'il était prisonnier des Parthes[7] pourrait expliquer que, jusqu'au IIIe siècle, certains faisaient remonter leur lignage aux Hasmonéens. L'importance de la ville au cours du dernier siècle d'existence du Second Temple ressort de la déclaration du même auteur[8]:

« La ville de Nehardea est densément peuplée, et possède entre autres avantages un territoire extensif et fertile. Elle est de plus imprenable, étant entourée par l'Euphrate et solidement fortifiée. »
Le Talmud fait lui aussi référence à l'importance du territoire de Nehardea[9]. Outre l'Euphrate, le Nehar Malka formait l'une des défenses naturelles de la ville[10]; le passage au-dessus de la rivière (ou peut-être du canal) est mentionné de même[11].

« Nehardea et Nisibis, » dit encore Josèphe[8], « étaient les trésoreries des Juifs d'Orient, où les taxes du Temple étaient entreposées jusqu'aux jours dits pour les envoyer à Jérusalem. » Nehardea était également la ville natale de Hanilaï et Hassinaï, deux frères qui, au premier tiers du Ier siècle, fondèrent brièvement un royaume brigand sur l'Euphrate, qui causa une réaction locale violemment anti-juive après leur mort[12],[13]. Après la destruction de Jérusalem, Nehardea est mentionné une première fois en rapport avec le séjour de Rabbi Akiva[14]. Dans la période tannaïtique qui fait suite à Hadrien, une anecdote fait référence à la dette collectée par Aḥaï ben Yoshia à Nehardea[15].

Nehardea à la fin de la période tannaïtique

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Nehardea apparaît clairement devant de la scène de l'histoire juive à la fin de la période tannaïtique. L'école de Shila est alors prééminente, et pave la voie à l'activité des académies talmudiques de Babylone. Shmouel (Samuel de Nehardea), dont le père, Abba bar Abba, était une autorité à Nehardea, établit la réputation de l'académie, tandis que Abba bar Ayvo, qui y avait probablement enseigné un temps, fonde l'académie de Soura, située sur l'Euphrate à environ vingt parasanges de Nehardea, dont la réputation sera plus grande encore. L'histoire de Nehardea est résumée dans celle de l'activité de Shmouel. Peu après la mort de celui-ci, l'académie est détruite par Papa ben Nesser, en 259, et son collège est transféré à Poumbedita.

À cette époque, les gens de Lydda et de Nehardea sont mentionnés comme particulièrement fiers et ignorants[16].

Naḥman ben Jacob

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Nehardea regagne cependant rapidement son importance, grâce à Rav Naḥman. Le Talmud de Babylone comprend de nombreuses références à son activité[17]. Raba relate une promenade qu'il effectue avec Rav Naḥman dans la « rue du cordonnier » ou, selon une autre version, la « rue des savants[18]. » Certaines portes de Nehardea qui avaient été, même au temps de Shmouel, couvertes de terre de sorte qu'elles ne pouvaient être fermées, furent déterrées par Rav Naḥman[19]. À deux reprises, il désigne Nehardea comme « Babel[20]. »

Outre Rav Naḥman, Rav Sheshet y habita également pour un temps[21]. Selon une assertion datée du IVe siècle, un amora avait entendu à Nehardea certaines sentences tannaïtiques, jusque-là inconnues des maîtres[22]. Nehardea demeure la résidence d'un certain nombre d'hommes instruits, dont certains appartiennent au collège de Mahoza, dont l'importance est considérable en ce temps, et d'autres à celui de Poumbedita. Vers le milieu du IVe siècle, Rav Ḥama y vit; la maxime « Par les 'amoraïm de Nehardea', comprend Ḥama[23] » devient un canon dans les écoles babyloniennes.

Vers la fin du IVe siècle et le début du Ve siècle, Nehardea redevient un important centre du judaïsme babylonien, grâce à l'activité d'Amemar, bien que celle-ci fut éclipsée par celle de Rav Achi, directeur de l'académie de Soura. Rav Achi réussit d'ailleurs à faire transférer le siège de l'exilarque de Nehardea, où il avait jusque-là été fixé par privilège, à Soura[24]. Par ailleurs, il dissuada Amemar d'introduire la récitation du Décalogue dans le rituel liturgique quotidien[25]. Il réussit cependant à faire passer une autre innovation dans ce domaine[26].

Le Talmud mentionne d'autres sages natifs ou résidents de Nehardea pendant cette période, parmi lesquels:

Après la période talmudique, s'illustrent Aḥa de Be-Ḥatim, dans le voisinage de Nehardea, mentionné par Sherira Gaon[33] comme l'une des autorités saboraïques du VIe siècle, et Mar Rav Ḥanina, l'un des premiers gueonims de Poumbedita, et contemporain de Mahomet. Il s'agit de la dernière référence à Nehardea dans l'histoire juive.
Benjamin de Tudèle mentionne cependant les ruines de la synagogue Shaf Yatib, à deux jours de marche de Soura, et une et demie de Poumbedita [34].

Informations non datées

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Le Talmud comporte certaines mentions éparses, sans datation précise sur Nehardea:

Par ailleurs, Nehardea est célèbre dans l'histoire de la Massorah du fait d'une ancienne tradition relative au nombre de versets dans la Bible ; ce serait Hamnuna[37] qui l'aurait rapportée de Nehardea, où il l'aurait reçu de Naḳḳaï[38]. Certains passages du texte biblique sont caractérisés par la tradition, et en particulier la massorah du Targoum du Pentateuque, comme étant ceux de Soura, et d'autres comme ceux de Nehardea[39].

Notes et références

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  1. Lettre de Sherira Gaon, in Neubauer, Med. Jew. Chron. i. 26
  2. Une assertion similaire a été faite à propos de la cité juive d'IspahanMonatsschrift, 1873, pp. 129, 181
  3. T.B. R. H. 24b; Avoda Zara 43b; Niddah 13a.
  4. T.B. Meg. 29a
  5. T.B. Kiddouchine 70b
  6. ib.
  7. Flavius Josèphe, Antiquités judaïques, xv, II, § 2.
  8. a et b ib. xviii. 9, § 1
  9. T.B. Ketoubot 54a
  10. T.B. Kiddouchine 70b; Shabbat 108b
  11. T.B. Kiddouchine 70b; Houlin 50b
  12. Antiquités judaïques 18:9
  13. (en) Adrian David Hugh Bivar, « The political history of Iran under the Arsacids », dans Ehsan Yarshater (dir.), The Cambridge History of Iran : The Seleucid, Parthian and Sasanid Periods, vol. 3, (ISBN 9780521200929), p. 69-73
  14. Yebamot 16:7
  15. T.B. Guittin 14b; Bacher, Ag. Tan. ii. 385
  16. Yer. Pessahim 32a; comp. T.B. Pessahim 62b; voir aussi Bacher, Ag. Pal. Amor. i. 60
  17. T.B. Kiddouchine 70a; Baba Batra 153a; Ketoubot 97a; Meguila 27b
  18. T.B. Houlin 48b
  19. T.B. Erouvin 6b
  20. Baba Kamma 83a; Baba Batra 145a
  21. T.B. Nedarim 78a
  22. T.B. Shabbat 145b; Niddah 21a.
  23. T.B. Sanhédrin 17a
  24. Lettre de Sherira Gaon 1:32
  25. Sur les relations entre Rav Achi et Amemar, voir Halevy, Dorot ha-Rishonim, ii. 515 et suivantes, iii. 68 et suivantes.
  26. T.B. Soukkot 55a.
  27. T.B. Houlin 113a.
  28. Lettre de Sherira Gaon.
  29. T.B. Baba Kamma 27b.
  30. T.B. Kiddouchine 81b; Niddah 66b.
  31. Shevouot 12b; Makkot 16a
  32. T.B. Sanhédrin 17b
  33. Halevy, Dorot i. 25
  34. Itinéraire, ed. Grünhut, p. 64
  35. T.B. Shabbat 116b
  36. T.B. Baba Batra 36a
  37. Bacher, op. cit. i. 2
  38. Voir Med. Jew. Chron. i. 174; Strack, Diḳdouḳ Ṭe'amim, p. 56
  39. Berliner, Die Massorah zum Targum Onkelos, pp. xiii. et suiv., 61-70, Leipzig, 1877

  Cet article contient des extraits de l'article « NEHARDEA (NEARDA) » par Richard Gottheil & Wilhelm Bacher de la Jewish Encyclopedia de 1901–1906 dont le contenu se trouve dans le domaine public., qui cite comme bibliographie:

  • Neubauer, G. T. pp. 230, 350;
  • Hirschensohn, Sheba Ḥokhmot, p. 164, Lemberg, 1885.