Montanisme

mouvement chrétien hétérodoxe du IIe siècle fondé par le prophète Montanus en Phrygie

Le montanisme est un mouvement chrétien hétérodoxe du IIe siècle fondé par le prophète Montanus en Phrygie, région de la Turquie actuelle. Il jette ses derniers feux, marginaux, dans la première partie du VIe. Ce mouvement spontané, tout d'abord indistinct de l’Église d’Ignace d'Antioche, fut ensuite considéré comme hérétique par celle-ci. Ce mouvement, qui se réclamait spécialement de l'Évangile selon Jean, est contemporain du marcionisme.

Ce mouvement prophétique appelait à se fier à la spontanéité du Saint-Esprit et à observer une éthique personnelle conservatrice. Des parallèles ont été établis entre le montanisme et les mouvements modernes tels que le pentecôtisme (y compris les pentecôtistes unitariens) et le mouvement charismatique.

Appelations modifier

L'appelation moderne de Montanistes n'est pas celles des débuts. On ignore comment les adeptes se qualifiaient eux-même, et on ne cannait que les appelations employées par leurs adversaires. Clément d'Alexandrie (début du IIe siècle) les désigne par leur origine, les Phrygiens, désignation péjorative d'un peuple considéré comme inculte selon Pierre de Labriolle[1], et l'hérésie est dite kata Phrygas, qui donnera Cataphryges. Avec Épiphane de Salamine et Basile d'Ancyre (début du IVe siècle) apparaissent les termes de Pépuzite ou Pépuzien, du nom de Pepuze, village où Montan place sa nouvelle Jérusalem[2]. Cyrille, évêque de Jérusalem de 350 à 386, semble avoir créé le terme de « montanistes »[3]. Enfin, Théodoret de Cyr (Ve siècle) les appelle montanistes du nom de Montan, cataphrygiens d'après leur origine ou pépuziens[2].

Histoire modifier

La source principale de connaissances du montanisme est l'Histoire ecclésiastique d'Eusèbe de Césarée (mort en 339), qui lui réserve une large place, tout en le dénonçant[4].

Montanus serait né à Ardabau, un village de Mysie à la frontière de la Phrygie[5], situé d'après Christine Trevett dans la zone d'influence de Philadelphie, correspondant à l'actuel district de Bekilli en Turquie[3]. Son activité commence selon les sources divergentes vers 156-157 ou 172-173. Il pourrait être un nouveau converti, et probablement pour le disqualifier, Didyme l'Aveugle le dit ancien prêtre des idoles ou prêtre d'Apollon, d'autres en font un ancien galle, officiant châtré de Cybèle[6]. Il s'attache à deux « prophétesses », Priscilla (ou Prisca ou Quintilla) et Maximilla, que Jérôme de Stridon qualifie de nobles et riches. Tous les trois énoncent des prophéties lors de phases de possession agitée, qui constituent pour les adeptes la « Nouvelle Prophétie » qui se diffuse dans les communautés chrétiennes d'Asie[7] malgré quelques revers[8].

Les rites cataphrygiens modifier

On ne sait rien des rites montanistes et on ne peut pas considérer qu'ils dérogeaient au strict christianisme asiate. Tout au moins c'est ce que Tertullien, contemporain de Montanus admettait (De Jejunio...). C'est aussi le point de vue de Pierre de Labriolle[9] et de Nicolas Robert[10]. Des adeptes montanistes dits « Tacodrugites » sont cependant décrits comme ayant l'habitude de prier le doigt dans le nez[11].

Système de croyances modifier

Quelques uns des oracles, éléments de la « Nouvelle prophétie » et attribués à Montanus, à ses profetesses ou anonymes, nous sont parvenus sous la forme d'énoncés généralement laconiques et sibyllins, recueillis par les adversaires du montanisme ou par Tertullien. Les six premiers oracles sont attribués à Montanus, mais seuls les n° 3 à 6 sont considérés comme authentiques[12]. Quatre oracles (n° 13 à 16) sont attribués à la prophétesse Maximilla[13]. Dans l'oracle n° 12, la seconde prophétesse, Quintilla ou Priscilla, a vu le Christ sous la forme d'une femme vêtue d'une robe éclatante. Il lui a déclaré que le lieu où elle se trouve est celui où « descendra la Jérusalem céleste »[14]. Cinq oracles (n° 7 à 11) sont transmis par Tertullien, les n°10 et 11 étant attribués à une certaine Prisca, probablement la Priscilla déjà nommée. Les n° 7 à 9 tranchent avec les autres oracles : ils ne sont pas imputés à un être humain, mais directement au Paraclet. Blanchetière ne les consière plus comme appartenant à la doctrine originelle asiatique[15].

Le montanisme apparait au moment où l'Église s'organise en système. Ces chrétiens rejetaient le clergé et toute hiérarchie, pour mieux exalter le martyre. Le mouvement fondait aussi son système de croyance sur la promesse de Jésus à ses disciples de leur envoyer, après sa mort, le Paraclet, l'Esprit de vérité, qui devait les conduire en toute vérité et demeurer éternellement avec eux pour leur enseigner les choses qu'ils n'avaient pu comprendre auparavant dans leurs vies.

Montanus se présenta donc comme l'organe du Paraclet. Il ne prétendait pas être le Paraclet lui-même, mais un médium humain en extase prophétique. Les paroles qu'il proférait étaient non les siennes, mais celles du Paraclet. Seul Épiphane de Salamine (au IVe siècle), accuse Montanus de s'être déclaré « le Père tout-puissant »[16], tout en reconnaissant l'orthodoxie du montanisme sur la Trinité « sur le Père, le Fils et le Saint-Esprit, ils pensent comme la sainte Église »[17],[18].

La condamnation modifier

Les évêques du voisinage condamnèrent le montanisme et excommunièrent ses adeptes. Ces mesures furent approuvées par les principaux évêques d’Asie Mineure.[réf. nécessaire] Les montanistes protestèrent et s'efforcèrent, en 177, de se concilier la faveur des chrétiens d'Occident, particulièrement de ceux qui étaient emprisonnés pour leur foi. Eusèbe dit que ceux-ci s'adressèrent alors pour la paix de l'Église, à Éleuthère, évêque de Rome. De leur côté, les Orientaux persistèrent dans leur jugement, et s'appliquèrent à le justifier dans de nombreux écrits. Montanus était probablement mort avant ces événements.

Déclarés hérétiques (peut-être par Éleuthère), le baptême donné par eux fut tenu pour nul. Les montanistes restèrent donc officiellement réprouvés, quoique sur les points essentiels, ils fussent en communauté de foi avec l'Église.

Montanus ne semble pas avoir présidé longtemps à l'œuvre qu'il avait commencée. Des récits orthodoxes disent qu'il s'est pendu comme Judas, de même que son épouse Maximilla. Ayant d'abord survécu à sa sœur Priscilla, elle croyait être la dernière prophétesse, la fin du monde devant survenir après elle. Toutes deux furent traitées par saint Jérôme de « folles démoniaques et hystériques, causes de nombreux scandales ».[réf. nécessaire]

En fait, après la disparition de ces deux femmes, le montanisme aurait pu se « normaliser » et reprendre sa place dans l'Église. Mais il se serait agi alors d'un culte nettement défiguré par rapport à son origine, ce qui n'était pas le souhait de l'ensemble des membres.

Devenue une secte isolée, le montanisme connut son apogée dans la Carthage du IIIe siècle, où il fut soutenu par le théologien latin Tertullien. Cependant, au VIe siècle, le montanisme aurait, dans les faits, totalement disparu, sauf quelques communautés à Pépouza, sommées par Justinien d'embrasser l'orthodoxie.

Cependant, une secte toujours appelée « Montaniste » apparut au VIIIe siècle ; l'empereur Léon III ordonna la conversion et le baptême de ses membres. Ces montanistes refusèrent, s'enfermèrent dans leurs lieux de culte, incendièrent les bâtiments et périrent[19].

Sources modifier

Sources anciennes modifier

  • Apollonius d'Éphèse (IIe-IIIe siècle) dans Histoire ecclésiastique d'Eusèbe de Césarée.
  • Tertullien, père de l'Église (autour de 202-224) : « De Corona, - De Fuga in persecutione, - De Exhortatione castitatis, - De Virginibus velandis, - Adversus Hermogenem, - Adversus Valentinianos, - De Carne Christi, - De Resurrectione carnis, - De Pallio, - Adversus Marcionem, - De Anima, - Scorpiace, - Ad Scapulam, - De Monogamia, - De Jejunio, - De Pudicitia, - Adversus Praxeam ».
  • Didyme l'Aveugle (v.311-v.397): (De Trinitate, III, 41)

Sources modernes modifier

Paul Monceaux, « notes de lecture des ouvrages de Labriolle », Journal des savants. 13ᵉ année,,‎ , p. 508-514 (lire en ligne).
  • (en) Christine Trevett, Montanism. Gender, Authority and the New Prophecy, Cambridge, University Press, , 299 p. (ISBN 0-521-41182-3).
Jean-Marie Auwers, « notes de lecture de l'ouvrage de Christine Trevett », Revue théologique de Louvain, nos 2, 33ᵉ année,‎ , p. 256-258 (lire en ligne).
  • Tabbernee W. Montanist Inscriptions and Testimonia, Tulsa, 1998
  • Robert, N. Tertullien montaniste, Grenoble 2000

Liens externes modifier

Références modifier

  1. de Labriolle 1913, p. 4.
  2. a et b Blanchetière 1978, p. 118-119.
  3. a et b Auwers 2002, p. 256.
  4. Blanchetière 1978, p. 121.
  5. Histoire ecclésiastique, 5, 16, 7.
  6. Blanchetière 1978, p. 127-128.
  7. Histoire ecclésiastique, 5, 18, 8.
  8. Blanchetière 1978, p. 129-130.
  9. La Crise montaniste, 1913
  10. Tertullien montaniste, 2000, mémoire de DEA Grenoble III
  11. Précis curieux des hérésies, Pont-à-Mousson, Paris, (lire en ligne), p.213
  12. Blanchetière 1979, p. 1-2.
  13. Blanchetière 1979, p. 4-5.
  14. Blanchetière 1979, p. 6.
  15. Blanchetière 1979, p. 7-8.
  16. Épiphane de Salamine, Panarion, 48.11.
  17. Épiphane de Salamine, Panarion, 48.1.
  18. Blanchetière 1979, p. 2-3.
  19. (en) Vryonis, Decline of Medieval Hellenism, p. 57 et notes.