La Fable des abeilles

livre de Bernard Mandeville
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La Fable des abeilles, The Fable of the Bees: or, Private Vices, Publick Benefits en anglais, est une fable politique de Bernard Mandeville, parue en 1714. Il en a fait un second tome en 1729.

La Fable des abeilles
Image illustrative de l’article La Fable des abeilles
Édition de 1724 chez Tonson

Auteur Bernard Mandeville
Pays Drapeau de l'Angleterre Angleterre
Genre Fable politique
Éditeur J. Roberts
Lieu de parution Londres
Date de parution 1714
Traduction française de 1740.

Parue dans un premier temps en 1705 sous la forme d’un poème intitulé « La Ruche murmurante ou les fripons devenus honnêtes gens », The Grumbling Hive, or Knaves Turn’d Honest en anglais, la première version ne fut guère remarquée. Rééditée en 1714 avec un commentaire extensif en prose, elle est bientôt devenue célèbre pour son attaque supposée des vertus chrétiennes.

Pour Bernard Mandeville, le vice, qui conduit à la recherche de richesses et de puissance, produit involontairement de la vertu parce qu'en libérant les appétits, il apporte une opulence supposée ruisseler du haut en bas de la société. Aussi, Mandeville soutient que la guerre, le vol, la prostitution, l'alcool et les drogues, la cupidité, etc. contribuent finalement « à l'avantage de la société civile ». « Soyez aussi avides, égoïstes, dépensiers pour votre propre plaisir que vous pourrez l’être, car ainsi vous ferez le mieux que vous puissiez faire pour la prospérité de votre nation et le bonheur de vos concitoyens[1]. »

Au XXe siècle, Friedrich Hayek vit en lui un précurseur du libéralisme économique, tandis que Keynes mit en avant la défense de l’utilité de la dépense.

Argument

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La Fable des abeilles développe dans une veine satirique la thèse de l’utilité sociale de l’égoïsme. Elle avance que toutes les lois sociales résultent de la volonté égoïste des faibles de se soutenir mutuellement en se protégeant des plus forts[2]. Au sujet du vol, Bernard Mandeville y explique que « le travail d'un million de personnes serait bientôt fini, s'il n'y en avait pas un autre million uniquement employé à consumer leurs travaux (...). Si l'on vole 500 ou 1 000 guinées à un vieil avare qui, riche de près de 100 000 livres sterling, n'en dépense que 50 par an, il est certain qu’aussitôt cet argent volé, il vient à circuler dans le commerce et que la nation gagne à ce vol. Elle en retire le même avantage que si une même somme venait d'un pieux archevêque l'ayant léguée au public[1]. »

Sa thèse principale est que les actions des hommes ne peuvent pas être séparées en actions nobles et en actions viles, et que les vices privés contribuent au bien public tandis que des actions altruistes peuvent en réalité lui nuire. Par exemple, dans le domaine économique, il dit qu’un libertin agit par vice, mais que « sa prodigalité donne du travail à des tailleurs, des serviteurs, des parfumeurs, des cuisiniers et des femmes de mauvaise vie, qui à leur tour emploient des boulangers, des charpentiers, etc. ». Donc la rapacité et la violence du libertin profitent à la société en général. Toutefois, il considère également que des pauvres doivent être sacrifiés en peinant et en travaillant afin de permettre aux riches de disposer de leur argent[3].

Les vices des particuliers sont des éléments nécessaires au bien-être et à la grandeur d’une société. L’Angleterre y est comparée à une ruche corrompue mais prospère, qui se plaint pourtant de son manque de vertu. Jupiter leur ayant accordé ce qu’ils réclamaient, la conséquence est une perte rapide de prospérité, bien que la ruche nouvellement vertueuse ne s’en préoccupe pas, car le triomphe de la vertu coûte la vie à des milliers d’abeilles.

Mandeville est généralement considéré comme un économiste et un philosophe sérieux. Il a publié en 1729 une deuxième édition de la Fable des abeilles, avec des dialogues étendus exposant ses vues économiques. Ses idées au sujet de la division du travail s’inspirent de celles de William Petty.

Portée

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L’idée selon laquelle les « vices privés font le bien public » a inspiré nombre d’auteurs dont Adam Smith[3] (qui pourtant critique âprement Mandeville par ailleurs[4]) ou — au XXe siècle — Ayn Rand dans La Vertu d'égoïsme[5]. Adam Smith répète le principe du projet mandevillien en le débarrassant de sa dimension sulfureuse et provocatrice. Dans La Richesse des nations, il remplace le mot « vice » par l'« amour de soi » (self-love).

Jean-Jacques Rousseau a commenté La Fable des abeilles dans la Première Partie de son Discours sur l'origine de l'inégalité parmi les hommes (1754).

Néanmoins, la théorie de Mandeville est bien plus forte : il soutient qu'une société ne peut avoir en même temps morale et prospérité et que le vice, entendu en tant que recherche de son intérêt propre, est la condition de la prospérité[6].

En 2007, dans Le Divin Marché, la révolution culturelle libérale[7], Dany-Robert Dufour tente de montrer que, bien loin d'être sortis de la religion, nous sommes tombés sous l'emprise d'une nouvelle religion conquérante, le Marché, fonctionnant sur un principe simple, mais redoutablement efficace, mis au jour par Bernard de Mandeville : « Les vices privés font la vertu publique ». Ce miracle est permis par l'intervention d'une Providence divine (cf. la fameuse « main invisible » postulée par Adam Smith).

Réception

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Ces positions ont violemment choqué l’opinion de son époque et ont été combattues par la plupart de ses contemporains[8]. Les moralistes spiritualistes Hutcheson et Berkeley réfutèrent la Fable des abeilles. Les juges[Qui ?] menacèrent de faire un procès à son auteur.

Édition récente

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  • La ruche bourdonnante ou Les crapules virées honnêtes, mise en vers français de Daniel Bartoli, préface et postface de François Dagognet, traduction de : The Grumbling Hive or Knaves Turn’d Honest, Paris, Éd. la Bibliothèque, 2006 (ISBN 978-2-909688-41-1)
    Cette édition contient aussi la traduction en prose de Jean Bertain (1740) et le texte anglais (1714).

Notes et références

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  1. a et b « Les prospérités du vice », Le Monde diplomatique,‎ (lire en ligne, consulté le ).
  2. Paulette Carrive, Bernard Mandeville : Passions, Vices, Vertus, Paris, Vrin, 1980.
  3. a et b Ainsi, il écrit que « Ce n’est pas de la bienveillance du boucher, du brasseur ou du boulanger qu’il faut espérer notre dîner, mais de leur propre intérêt ».
  4. Dans sa Théorie des sentiments moraux, Adam Smith juge le système moral de Mandeville comme « entièrement pernicieux » dans sa tendance : « Quoique les opinions de cet auteur soient sur presque tous les points erronées, continue Smith, il existe toutefois quelques apparences dans la nature humaine qui, lorsqu'elles sont considérées d'une certaine manière, paraissent à première vue les conforter. Décrites et exagérées par l'éloquence vive et piquante, quoique grossière et fruste, du Dr Mandeville, elles ont donné à sa doctrine un air de vérité et de probabilité très susceptible d'en imposer aux esprits inexpérimentés. » (Adam Smith, Théorie des sentiments moraux, trad. M. Biziou, C. Gautier et J.-F. Pradeau, Paris, P.U.F., 2011, p. 411.)
  5. En 1964, Ayn Rand, dans La Vertu d'égoïsme, avance la thèse selon laquelle l'égoïsme rationnel des individus est le seul fondement possible d'une société.
  6. (en) F.A. Hayek, Lecture on a Master Mind, London, Proceeding of the British Academy, 1967.
  7. « Le Divin Marché », sur gallimard.com (consulté le ).
  8. I. Primer (édité par), Mandeville Studies, La Haye, Nijhoff, 1975.

Annexes

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Bibliographie

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  • Gustave Vapereau, Dictionnaire universel des littératures, Paris, Hachette, 1876, p. 1322

Liens externes

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